par Daphné Bathalon

Alors que l’Angleterre s’apprête à célébrer, en 2016, le 400e anniversaire de la mort de son auteur le plus célèbre, à Montréal, nous avons eu l’occasion en novembre de voir deux textes de Shakespeare, bien différents, grâce au National Theatre Live.

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Photo : Ludovic des Cognets

Il y a d’abord eu le très attendu Hamlet, qui a tenu l’affiche d’août à octobre au Barbican à Londres (cliquez ici pour lire la critique complète que j’en avais faite à Londres en septembre) et dont les cinq projections ont très vite affiché complet au cinéma Forum. Il faut dire que l’acteur britannique Benedict Cumberbatch attire les foules. Frankenstein, présentée en rappel l’année dernière, avait également fait salle comble dans ce cinéma du centre-ville.

Puisque ce n’est pas souvent qu’un spectateur a l’occasion de voir une production en personne puis d’en voir une captation sur grand écran, le 7 novembre dernier, je me suis rendue au cinéma pour jouer au jeu des comparaisons. Cela m’a permis de constater que la projection donne une idée assez fidèle de l’expérience vécue par les spectateurs dans la salle. À défaut de pouvoir observer à loisir la disposition des acteurs et actrices sur scène et leurs réactions aux actions ou aux paroles de chacun, le cadrage serré des caméras offre une vue imprenable sur les expressions faciales des interprètes. Le spectateur se retrouve pour ainsi dire assis à la table du roi Claudius! La répartition de plusieurs caméras dans la salle donne également à voir l’ampleur du décor. Le réalisme de celui-ci et la scénographie, qui ouvre l’espace en fond de scène, sont d’ailleurs bien servis par la captation. Des problèmes de micro sont malheureusement venus déranger à quelques reprises au cours de la représentation (enregistrée le 15 octobre), mais la projection a offert un bon équilibre entre les dialogues et la trame sonore, élément qui a son importance dans cette production. S’il faut se fier aux éclats de rire et aux applaudissements, les spectateurs ont beaucoup apprécié l’expérience. Au vu de son succès, il ne serait donc pas étonnant de voir la production reprendre l’affiche dans la programmation 2016-2017 du National Theatre Live. À surveiller!

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(Photo : Johan Persson)

C’est le cas de Coriolanprésenté il y a deux ans et qui revient à l’affiche pour deux représentations. La première a eu lieu le 19 novembre, la seconde aura lieu le samedi 28 novembre (Forum, Cavendish et Brossard). Pas souvent montée, Coriolan fait partie du cycle romain de Shakespeare. La pièce a vraisemblablement été écrite une dizaine d’années après Hamlet. On retrouve toutefois dans les personnages de ces deux pièces la même soif d’accomplissement.

Caius Martius est né dans une classe de la société désignée pour diriger. Fils unique de Volumnia, une femme ambitieuse qui rêve des plus grands exploits pour son fils, Caius Martius est un modèle des vertus célébrées par la société romaine : bravoure au combat, intelligence, mépris de la douleur et des honneurs… Mais il est également incapable de compassion, méprise le peuple et dirige avec intransigeance voire brutalité. La pièce s’ouvre alors que sévit la famine à Rome et que la colère gronde parmi le peuple, surtout contre Caius Martius, mais l’attention de tous est détournée lorsqu’on annonce l’approche des Volsques, qui veulent abattre la cité. Leur armée est écrasée par les Romains, dirigés par Martius, qui se rend également maître de la cité volsque de Corioles. De sa victoire, Martius hérite du titre de Coriolan. Encouragé par son entourage, Coriolan se présente ensuite aux élections, mais les perd… ce qui le plonge dans une rage folle et le mène en fin de compte à l’exil puis à la mort.

Volontairement ambigu, le personnage de Coriolan demeure ouvert à toutes les interprétations, surtout que, contrairement à ce qui se passe dans plusieurs autres pièces de Shakespeare, le personnage ne se confie jamais au public. L’interprétation que livre Tom Hiddleston (The Avengers, Thor) est magistrale. Même au milieu de ses emportements colériques, il laisse voir la fragilité de cet homme constamment poussé par sa mère et son entourage, incapable d’entrer en relation avec les autres autrement que sur le champ de bataille, de cet homme né pour régner plutôt que pour être élu. Toujours très droit, inflexible, Coriolan peut éclater de rage à tout instant et, le meurtre dans les yeux, s’en prendre à quiconque se dresse devant lui. Hiddleston, plus jeune de quelques années que les acteurs s’attaquant généralement à ce rôle, a le physique de l’emploi. Et c’est un jeu justement très physique que l’acteur nous propose pour ce combattant redoutable, mais pauvre politicien. Pour sa performance, Hiddleston a d’ailleurs remporté en 2014 le Evening Standard Theatre du meilleur acteur.

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(Photo : Johan Persson)

Il est appuyé par une belle distribution, quoique servant surtout de faire-valoir à Coriolan. Face à sa colère, qui brûle et dévaste comme un incendie, les autres personnages paraissent en effet bien pâlots, notamment Virgilia (Birgitte Hjort Sørensen), la femme de Coriolan, à qui l’on donne bien peu de répartie. Les deux tribuns représentant le peuple, et objet de la colère de Coriolan, ont tout de fouines ou de serpents cherchant à terrasser le patricien en le provoquant sans jamais l’attaquer de front. Leur proposition manque de clarté et surtout de consistance. En Volumnia, Deborah Findlay offre heureusement plus de mordant. La relation étrange, et pas toujours nette, qu’elle et son fils entretiennent, dérange autant qu’elle fascine. L’Aufidius de Hadley Fraser se démarque également: ses confrontations avec Coriolan offrent quelques-uns des moments forts du spectacle.

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(Photo : Johan Persson)

La metteure en scène Josie Rourke s’est servie des particularités de la salle du Donmar Warehouse avec une grande intelligence. Usant d’une logique géométrique, elle cantonne ses personnages à l’arène politique, suggérée par un carré dessiné au sol, et leur coupe toute possibilité de fuite en les acculant au pied d’un mur dont on ne distingue plus le sommet. Une seule échelle se tient droite au centre, donnant l’impression de monter à l’infini… mais aucun personnage n’en monte plus que quelques barreaux. Coriolan, lui, se retrouve souvent confiné à l’intérieur même de l’arène dans un carré encore plus petit. Des projections et de vrais graffitis rappellent ponctuellement les revendications du peuple. Le fracas des chaises que les acteurs déplacent est également appuyé par une bande sonore de hurlements de guitares électriques et du grondement martial des combats. Quant aux nombreuses scènes de bataille du texte original, elles sont ici brillamment mises en scène dans cet espace restreint grâce à une chorégraphie de chaises, d’échelles et de boules de feu.

L’anglais shakespearien étant ce qu’il est, et Coriolan n’étant pas la pièce la plus connue du répertoire de l’auteur britannique, il faut s’accrocher durant les premières minutes, lorsque les acteurs débitent leurs répliques à toute vitesse et mettent en place la situation politique à la base de la pièce. Mais l’effort en vaut vraiment la peine, ne serait-ce que pour voir avec quel talent Tom Hiddleston fait ressortir toute la complexité du personnage de héros de guerre mésadapté en temps de paix et habité d’une furie qui causera ultimement sa perte — dans une scène poignante, il va sans dire.

Pour se procurer des billets pour la représentation du 28 novembre ou en savoir plus sur les prochaines productions à l’affiche, visitez le site de Cineplex. Nous aurons d’ailleurs droit à une reprise d’un autre Shakespeare le 26 novembre, The Winter’s Tale, présenté par le Branagh Theatre Live.

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