Chokola : Manmi cheri*

Chokola : Manmi cheri*

Phara n’avait que 3 ans quand elle a quitté Haïti pour aller rejoindre sa famille adoptive, dans un village québécois. Depuis, elle n’a de cesse d’essayer de comprendre qui elle est et de chercher dans les visages autour d’elle celui de sa mère perdue. Tantôt sous la forme de lettres adressées à cette mère inconnue, tantôt lors de rencontres avec une psychologue, Phara se confie sur sa quête identitaire et sa relation difficile avec elle-même.

Avec ce récit autobiographique touchant, la jeune autrice Phara Thibault présente son premier texte dramatique, nous faisant découvrir une écriture fine relevée de pointes d’humour. Son regard tranchant, qui ne verse pas dans le jugement, trace habilement le cheminement par moments douloureux vécu par tant de personnes adoptées. Dans un décor aux teintes beiges où l’horizon est barré par des stores verticaux qui ne s’ouvrent que brièvement, Phara, le personnage et l’autrice, est percée de trous immenses : les pièces manquantes de sa vie, peut-être laissées derrière elle quand elle a quitté Haïti, comme cette langue oubliée qu’elle ne sait plus parler.

La production de La Manufacture relate le racisme ordinaire, la discrimination, le sentiment d’être l’Autre (ayant grandi dans un village où elle était la seule Noire), les maladresses d’une famille adoptive aimante, mais mal outillée, et son rêve de petite fille de se débarrasser d’une peau noire collante pour finalement devenir Blanche. Avec humour, Phara dévoile les blessures de sa jeunesse et son mal-être qu’elle croit soigner en partant à la recherche de sa mère biologique. Ce très beau texte offre une perspective que l’on voit peu sur nos scènes, celle d’une enfant d’ailleurs qui a fait ses racines au Québec, dans une société d’accueil bienveillante, mais qui porte aussi en elle préjugés conscients ou inconscients.

Celle qui remportait le 26e Concours intercollégial d’écriture dramatique en 2021 avec cette première pièce a pris le pari d’incarner son propre rôle sur scène. Bien appuyée à la mise en scène par Marie-Ève Milot, l’actrice et autrice offre une performance remarquable, tout en nuances et en introspection. Presque seule en scène (Lise Martin l’accompagne avec quelques rares répliques dans le rôle de la psy), Thibault maintient l’attention du public pendant les 80 minutes du spectacle, sans faillir.

Précieux témoignage d’une identité en reconstruction, Chokola résonne sur la scène La Petite Licorne dans une prise de parole sincère qui dévoile une surprenante maturité personnelle et artistique. On suivra certainement le parcours de Phara Thibault avec grand intérêt.

*Maman chérie en créole.

Chokola, à l’affiche de La Petite Licorne du 6 mars au 14 avril 2023

Crédit photo Suzane O’Neill

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