Jamais Lu 2022 : Suite et fin

Jamais Lu 2022 : Suite et fin

Année après année, le festival du Jamais Lu prend des allures de véritable marathon pendant dix journées bien remplies où s’enchaînent les lectures, les rencontres autour d’un verre, les découvertes, les rires, les moments d’émotion, le verbe aiguisé et surtout bien des surprises. L’énergie qu’insuffle à l’événement sa directrice artistique et générale, Marcelle Dubois, n’est certainement pas étrangère au succès renouvelé de ce festival un peu dans la marge, un peu secret d’initié.

En un dimanche étincelant de beau temps, les amateurs de nouvelles écritures ont troqué le panier à pique-nique et le barbecue pour les fauteuils mous des Écuries à l’occasion de La journée de la fiction contre-attaque, événement de clôture du festival. Au menu de 15h à 22h : sept lectures d’environ trente minutes, extraites de textes en construction. Théâtre.Québec en a entendu quatre.

À 15h, la table était mise pour l’univers décalé et décapant de Souris Souris, par Maxime Champagne. Inspiré par la nausée ressentie par JRR Tolkien à la vue des films sortant des studios Disney, il y a près d’un siècle, l’auteur de Souris Souris a imaginé la vie des créations, des icônes de Disney… pardon, du Créateur. Loin des yeux des humains, l’emblématique Souris, blasée et dure, y dirige une bande d’animaux et de princesses d’une main de fer jusqu’à ce que l’apparition d’un vrai petit garçon vienne chambouler leur monde, quelque part dans les sombres souterrains du Royaume. Ce garçon est-il une nouvelle création ou un créateur en devenir? L’écriture de Maxime Champagne est superbement servie par la mise en lecture d’Isabelle Leblanc et une distribution investie menée par Cha Raoutenfeld, dont l’air détaché sied à ravir au personnage de Souris. Dans le rôle de Canard, Éric Paulhus joue les seconds avec la juste touche de nervosité et d’appréhension. Au cœur de cet univers désenchanté où tout ne semble être que travestissements, l’auteur explore l’éternelle quête identitaire et le pouvoir que l’on a (ou pas) de façonner son environnement et ce qu’on peut devenir. Une excellente première lecture pour nous ouvrir l’appétit!

Le second texte, Le Show Beige, de Camille Giguère-Côté, nous a transportés dans un univers plus familier, mais sur un ton tout aussi incisif. L’autrice, dont il s’agit de la première pièce, fait entendre une chronique résolument urbaine et éclatante, car sous les teintes parfois ternes, c’est un véritable déferlement de couleurs. Porté principalement par la narration inspirée et texturée de Johanne Haberlin, ce récit poétique fait naître une foule d’images, de sensations et de contrastes, près du parc à chiens entre un homme noir et une femme blanche, quand le gars réalise que sa copine est sur le point de prononcer une réflexion banale mille fois entendue auparavant de ses précédentes partenaires; dans une interminable allée de magasin à rayons assez déprimants pour songer à s’immoler par le feu; dans un pool party au moment où on peut enfin se laisser emporter par le tourbillon créé à force de tourner en rond… La mise en lecture de Jean-Simon Traversy et l’interprétation de toute la distribution (en particulier Lyndz Dantiste en indigné) font jaillir toutes les couleurs des mots de l’autrice du Show Beige.

Le Show Beige – David Ospina

Avec Les fées ont faim, l’autrice du troisième texte de ce marathon dominical, Phara Thibault, nous a fait basculer dans le discours féministe, celui d’une femme qui gagne en assurance et en pouvoir après des années à s’être démembrée pour correspondre à un idéal physique ou s’être fait démembrer par la société. Une femme, des femmes, des fées qui cassent les cases dans lesquelles on voudrait les cloisonner. Les fées en ont soupé d’avoir soif, maintenant elles ont assez faim pour dévorer le monde et s’affirmer telles qu’elles sont, ni putes, ni mères, ni saintes. Mis en lecture par Pascale Renaud-Hébert et livré avec poigne par Sounia Balha, Maryline Chery (une révélation) et Lesly Velazquez, le texte poétique et chorale a secoué l’assemblée avant de le soulever d’un même élan.

Les fées ont faim – David Ospina

Quatrième auteur à présenter son texte, Victor Choinière Champigny pouvait clairement compter sur le soutien de nombreux amis enthousiastes dans la salle. La metteuse en lecture Pascale Renaud-Hénert pouvait quant à elle compter sur une distribution solide, qui incarnait avec beaucoup de plaisir et de malice les personnages typés, et même flamboyant dans le cas du Dr Phil Better (Dominick Rustam), de Hold-Up. Un couple dépareillé au bord de la rupture, Cath et Sebas (Stéfanelle Auger et Éric Paulhus) tente le tout pour le tout auprès de ce docteur psychomagicien un peu gourou. La thérapie qu’ils suivent donne lieu à de nombreuses répliques savoureuses et à une réinterprétation hilarante de la chanson Amène-toi chez nous, de Jacques Michel. Johanne Haberlin complétait la distribution en fidèle du Dr Better. L’auteur, dont il s’agissait d’une première participation au Jamais Lu, a créé des personnages truculents : ils sont risibles, un peu détestables, mais aussi tellement attachants et totalement réalistes. En fin de compte, on ne sait pas si on veut que la thérapie de couple réussisse tant elle est divertissante.

Hold-Up – David Ospina

C’est sur une chorale spontanée avec le public que s’est achevée la première partie du marathon de lecture La fiction contre-attaque. Si vous avez manqué le festival cette année, amenez-vous aux Écuries en 2023, car comme les gouttes d’eau alimentent le creux des ruisseaux, chaque Jamais Lu regorge de textes lumineux et inspirants qui se retrouveront peut-être sur une scène près de chez vous dans les prochaines années.

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